Boats on the water, paper boats and embroidery, installation, 2017
Le
titre de cette œuvre renvoie amèrement à la célèbre comptine :
Bateau, sur l'eau, la rivière,
la rivière. Bateau, sur l'eau, la rivière au bord de l'eau. Le bateau a
chaviré. Tous les enfants sont tombés dans l'eau.
Cette installation est une mise en
abîme : des bateaux réalisés à partir de feuilles de papier montrant
eux-mêmes des bateaux de migrants sur l’eau. Les bateaux sont donc déjà remplis
d’eau comme l’image d’un naufrage inexorable. Naufrage du départ, naufrage
du passage, comme de leur "impromise" intégration.
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Bateaux sur l'eau, détail, image Gilles Domenget |
Sur ces bateaux de papier sont brodés les noms de pays d’accueil, ainsi qu’un chiffre. Il s’agit du nombre de réfugiés reçus dans ces pays respectifs.
Alors que les pays européens sont
montrés du doigt et critiqués au motif de ne pas accueillir suffisamment de
réfugiés, les pays les plus riches du Golfe comme l’Arabie Saoudite, le Qatar
ou le Koweït n’en ont accueilli aucun à ce jour. C’est pourquoi le chiffre
« 0 » est brodé sous les noms de ces pays.
Pourtant,
l’Arabie Saoudite possède un site regroupant 100 000 tentes à air
conditionné, pouvant accueillir plus de 3 millions de personnes.
Le Qatar, comme tous les pays de l’Organisation de la
coopération islamique (OCI) n’a pas signé la convention de Genève de 1951 qui
crée le statut de réfugié et qui oblige les pays à accorder l'asile aux
personnes fuyant les conflits et les persécutions.
Cependant, depuis le début de la
guerre civile en Syrie, quatre millions de réfugiés ont été accueillis
principalement dans trois pays : la Turquie, le Liban et la Jordanie. Ces pays
voisins de la Syrie ont atteint leurs limites. En Jordanie, le camp Zaatari, en
plein milieu du désert, près de Mafraq, accueille 180.000 personnes. C'est
devenu la quatrième ville de Jordanie en termes de population. Le Liban a déjà
accueilli 1,3 million de réfugiés sur son territoire, soit un quart de sa
population !
Les réfugiés préfèrent se lancer dans un long périple, dangereux et incertain, vers l'Europe. Les risques encourus pour la rejoindre sont très nombreux. En 2016, plus de 3.800 migrants ont perdu la vie en mer, sans que les migrants ne se découragent.
Cette installation ne propose pas
de réponse, mais pointe le drame de cet exode mortel. Le mur vers lequel les
embarcations se dirigent et grimpent symbolise cette implacable chimère.
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Bateaux sur l'eau, vue de l'exposition au Belvédère, Uriage 2019 ©Adagp ©1011 |
La presse en parle :
Jean-Louis Roux, Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, avril 2017
"Installations Des bateaux, plein de bateaux, toute une armada, sillonnent en tous sens une mer étale.Ce serait une peinture, on nommerait cela une « marine ». Mais c’est une installation dans une salle d’exposition et l’on pressent, à certains détails insistants, que cette installation n’a guère à voir avec la caste paisible des « peintres officiels de la Marine ». D’abord, ces navires ne sont rien d’autre que des bateaux en papier, de grands et fragiles origamis qu’un souffle d’air (ou le pied maladroit d’un visiteur) suffit à faire chavirer. Ensuite, leurs sillages enchevêtrés et leurs croisements incessants dénotent une agitation qui confine à l’affolement. Enfin, des noms et des nombres brodés sur leur coque achèvent de lever le doute. Nous sommes en 2017, en Europe, et notre mer est la Méditerranée. La mer Méditerranée, en ce début de XXIe siècle, est le théâtre quotidien d’une tragédie qui se joue dans l’indifférence, au mieux, et, au pire, dans la haine. Chassés par la guerre, ou par cette autre façon de faire la guerre qu’est la misère, des centaines de millier de migrants quittent leur terre natale et prennent la mer sur des embarcations de fortune, dans l’espoir d’aborder dans un monde meilleur.
Images douces et vérités dures Sur ces frêles esquifs en papier, ont donc été brodés le nom de certains pays et le nombre de migrants que ces pays ont accueilli …Une œuvre d’art, bien entendu, ne change pas le cours de l’Histoire ; cependant, en prenant parti (en nous prenant même à partie), l’artiste grenobloise qui se cache sous le pseudo de 1011 nous contraint à ne pas jouer plus longtemps la lamentable comédie de l’ignorance. La beauté ne serait rien, sans l’état de conscience que la révélation de cette beauté nous ouvre à notre esprit. L’art de 1011 ne relève pas de de la pure contemplation : il bouscule, il dérange, il met mal à l’aise. Il use d’images douces pour nous asséner des vérités dures."
Sources :